Laurent Denize, Co directeur des investissements, et Brice Prunas, Gérant actions, Intelligence Artificielle, ODDO BHF AM.
-39,8% pour l’IGV (ETF du secteur Logiciels US), -39,2 % pour le SOX (l’Indice de Philadelphie sur des semiconducteurs américains), -42,4% pour l’indice de la Tech à Hong Kong.
2022 peut d’ores et déjà être qualifié d’annus horribilis pour le secteur mondial de la technologies, après, il faut le dire, plusieurs années d’insolentes performances.
Chaque segment du secteur aura traversé une longue et lancinante phase de baisse en 2022 qui s’est terminée par une capitulation violente. Ce furent d’abord les actions technologiques chinoises, les Semiconducteurs, puis les GAFAM et enfin les Logiciels qui ont connu leur capitulation sur la séance du 4 novembre 2022.
Cette baisse historique du secteur Technologies s’inscrit dans un mouvement plus large de rotation sectorielle. Les flux sortent de la Tech (et en particulier des GAFAM) pour aller dans deux types de secteurs :
- Les secteurs cycliques (Energie, Financières et Industrielles)
- Les secteurs défensifs : les secteurs dont les résultats anticipés sont relativement préservés en période de récession (la Pharmacie et l’Alimentation)
La question est maintenant de savoir si nous sommes confrontés à un long cycle de sous-performance ou si les valeurs technologiques redeviennent attractives.
Nous identifions des raisons d’être plus constructifs à partir de maintenant :
- Les segments qui ont capitulé en premier (Tech Chinoise et Semiconducteurs) rebondissent
- Certaines sociétés de semi-conducteurs ont déjà révisé leurs prévisions à trois reprises et présentent désormais un niveau d’attentes plus raisonnable.
- Les valorisations sont revenues à des niveaux attractifs pour un investisseur qui a un horizon d’investissement long. Il n’est par exemple pas rare d’analyser des sociétés présentant des niveaux de croissance à deux chiffres mais affichant des valorisations proches de celles du secteur Télécoms
- Les fondamentaux du secteur restent excellents et aucun indicateur avancé n’indique un retournement à venir du super cycle des semiconducteurs
À long terme, les valeurs technologiques restent attrayantes. La principale question qui se pose est de savoir quand il convient de se repositionner.
Il faut pour cela répondre à plusieurs questions :
Où va s’arrêter la hausse des taux américains ?
La Fed adapte sa stratégie en diminuant l’ampleur des hausses de taux à venir sans modifier pour autant sa volonté de porter le taux terminal toujours plus haut. Elle se rend donc dépendante des données à venir et notamment de l’évolution du marché du travail, paramètre clé pour ne pas enclencher une spirale prix-salaires. Cependant, nous pensons qu’un pivot de la Fed a commencé et que l’essentiel du durcissement monétaire est derrière nous. La Fed va vouloir mesurer les impacts de sa politique monétaire sur l’économie et s’inquiète à juste titre d’un possible dérapage du marché immobilier. La hausse des taux courts n’est certes pas terminée mais celle des taux longs peut être…
Notre scénario : stabilisation des taux longs
Faut-il s’attendre à de nouvelles révisions à la baisse des résultats 2023 ?
Nous le pensons parce que les prévisions des analystes sont en décalage pendant les récessions et certaines entreprises ont tendance à modéliser dans leurs prévisions uniquement le niveau de détérioration déjà connu (et non celui à venir).
Notre scénario : une baisse des BPA à venir à ce moment du cycle
Une poursuite de la compression des multiples est-elle à prévoir ?
Nous ne le pensons pas. Au contraire, les déceptions futures seront compensées par une expansion des multiples de valorisation, c’est ce que les sorties de crise précédentes ont montré, surtout si les taux se stabilisent et encore plus s’ils baissent.
Notre scénario : Absence de compression des multiples avec la stabilisation des taux et la normalisation du choc d’offre
Avons-nous assisté au premier acte du crépuscule des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) ?
Le poids de la capitalisation de ces 5 sociétés est aujourd’hui tellement lourd dans les indices (environ 25% du S&P) qu’une analyse « idiosyncratique » de ces valeurs doit être réalisée. L’histoire du secteur technologique est faite du rise and fallde grandes sociétés qui finissent par être « disruptées » et remplacées par des acteurs de nouvelle génération plus innovants. La destruction de valeur boursière considérable observée lors des mois d’octobre et novembre sur ces cinq titres pourrait nous conduire sur cette voie. Et pourtant, nous nous garderons bien d’une telle conclusion.
Nous restons très constructifs sur Microsoft pour sa capacité à croître de manière durable sur des segments clés comme Teams, la CyberSécurité ou la Power Platform. De même, nous sommes positifs sur Google pour la résilience de son cœur de métier mais également pour ses investissements dans l’intelligence artificielle (Waymo, Calico, Verily). C’est moins le cas pour les autres sociétés dont les perspectives de Bénéfices Par Actions ont récemment été divisées par 4, avec des perspectives notamment sur les revenus publicitaires nettement revus à la baisse. Le segment Smartphone d’Apple se retourne par ailleurs négativement et va impacter la valorisation du titre selon notre analyse.
Notre scénario : une sélection naturelle va s’opérer et casser la thématique « GAFAM »
Peut-on s’attendre à une détente du conflit sino-américain autour de la Technologie ?
Nous ne le pensons pas. Les intérêts autour de l’intelligence artificielle, de l’imbrication des chaînes logistiques dans les semiconducteurs et le hardware et donc de Taiwan sont trop antagonistes pour espérer un arrêt ou un ralentissement du rythme des restrictions.
Notre scénario : un statu quo serait selon nous le scénario le plus optimiste
Doit-on s’attendre à ce que d’autres secteurs technologiques se dégradent également ?
Les logiciels d’infrastructure de type ERP (SAP, Oracle, Workday) sont clairement à risque si la récession s’intensifiait ainsi qu’une part plus large des semiconducteurs destinés à l’industrie.
Notre scénario : dans ce contexte, nous recommandons de privilégier les secteurs qui ont déjà subi une forte baisse.
En conclusion, quels sont les catalyseurs qui permettront d’alimenter une reprise du secteur ?
- Une pause dans la hausse des taux
- La fin des révisions à la baisse de résultats (certains segments repartent même en bourse six à neuf mois avant le point bas des résultats)
- La reprise du cycle de fusions-acquisitions
- L’arrivée d’investisseurs opportunistes et activistes dans des dossiers sous-valorisés
Si ces critères étaient réunis (nous nous en approchons) nous privilégierons d’abord le secteur Technologies sur les marchés émergents, puis les Semiconducteurs, et enfin les Logiciels. Autant dire que l’arrêt de la politique zéro-covid de la Chine pourrait être le catalyseur d’une remontée des risques dans les portefeuilles, dont le secteur technologique bénéficierait sans aucun doute. A vos marques …