Attention à la marche : les cadres financiers pourraient avoir une vision excessivement optimiste des progrès de la transformation numérique dans le secteur public
Chris Richards, Regional President UK&I, Unit4
La perception commune des cadres financiers est qu’ils sont des professionnels pragmatiques, qui croient fermement au principe selon lequel « ce qu’on ne peut pas compter ne compte pas ». Cependant, il est possible que les responsables financiers aient une vision relativement optimiste des progrès accomplis par la transformation numérique par rapport à leurs homologues au sein des ressources humaines, et même des services informatiques.
La récente publication State of the Digital Nation 2023 de Unit4 a révélé que les dirigeants financiers internationaux (32 %) se montrent considérablement plus confiants quant à la finalisation de la transformation numérique du secteur public au cours des 12 à 18 prochains mois. En revanche, seules 17 % des personnes interrogées au sein des ressources humaines et 11 % au sein des services informatiques sont d’accord avec ce calendrier. Ou, si l’on examine la question sous un autre angle, près de la moitié des personnes interrogées au sein des services informatiques (49 %) ont déclaré que la transformation demanderait deux à trois ans, contre 42 % des répondants au sein des ressources humaines et seulement 19 % au sein des services financiers.
Vu sous un autre angle, plus de la moitié des responsables financiers (55 %) sont convaincus que les projets numériques seront finalisés dans le respect du budget établi, contre 41 % des personnes interrogées au sein des ressources humaines et 35 % au sein des services informatiques. Néanmoins, les services financiers sont une fois encore les plus enclins (55 %) à croire que la solution offrira des niveaux d’interopérabilité élevés, contre 44 % des personnes interrogées au sein des ressources humaines et 37 % au sein des services informatiques.
Changer les règles du jeu ?
Le tableau, dans son ensemble, est donc cohérent : les responsables financiers sont généralement plus confiants dans la réussite de la transformation informatique que les responsables des ressources humaines, qui se montrent à leur tour nettement plus confiants que les responsables informatiques. Quelles sont les raisons de cette confiance relativement élevée, et pourquoi est-elle malavisée ?
Parmi les raisons possibles figure le fait que les personnes interrogées ont des définitions divergentes de la transformation numérique. La transformation numérique est un terme générique recouvrant de nombreuses activités commerciales allant de la numérisation des produits, des ventes et du marketing aux chaînes d’approvisionnement et à la planification stratégique. Dans le secteur public, ce terme englobe les portails en libre-service accessibles au public, la réservation d’établissements, l’approvisionnement et bien davantage. Les responsables financiers approuvent souvent les projets informatiques présentés sous la forme d’entités individuelles comportant un début, un milieu et une fin. Cependant, le principe même de la transformation numérique est qu’il s’agit d’un cycle continu, réunissant une multitude d’exercices de transformation qui ne se terminent jamais.
Toutes les organisations progressistes devraient perpétuellement aspirer à se transformer, cependant, la technologie ne cesse d’évoluer ; il est donc est toujours complexe de décrire des projets de manière cohérente et, peut-être, de changer les règles du jeu, puisque la définition des projets varie d’une personne à l’autre. La modification d’un service a souvent des répercussions sur un service connexe, et peu de directeurs financiers comprennent aussi bien les aléas de l’intégration et des modèles de données partagées que les directeurs des systèmes d’information.
Les DSI bien informés savent qu’ils doivent être continuellement à l’affût de l’évolution technologique et se tenir prêts à aller plus loin dans l’automatisation et la numérisation, d’où leur scepticisme à l’égard de « l’achèvement » de la transformation numérique. En effet, les DSI affirment souvent que la transformation est un parcours, ou un flux d’activités, et qu’elle ne peut donc jamais être considérée comme achevée.
Quant à la question de la confiance dans le respect des budgets des projets, les services financiers auront toujours une excellente maîtrise des « trois R » – le risque, la récompense et le retour sur investissement. Les responsables informatiques savent que la complexité inhérente des projets peut entraîner des dépassements, qui ont à leur tour une incidence sur les coûts. De même, sur la question de l’interopérabilité, les directeurs des systèmes d’information et les directeurs de la technologie sont conscients qu’en raison des réseaux de dépendances complexes, l’intégration et l’interopérabilité peuvent être difficiles à mettre en œuvre. À son tour, cette situation peut grever la disponibilité et les performances, entraînant des lenteurs, des problèmes de fiabilité et des silos de données.
Les différentes interprétations des décideurs sont intéressantes et quelque peu troublantes : peut-on faire quelque chose pour renforcer la cohérence de la vision ? Oui, en effet ; et les organisations les plus efficaces bénéficient déjà de l’alignement de leurs cadres et de stratégies partagées, conformément auxquelles les directeurs des systèmes d’information travaillent en étroite collaboration avec les directeurs financiers, les responsables des ressources humaines, les directeurs marketing et les responsables des relations clientèle. Les technologies numériques sont toujours plus indispensables au fonctionnement des entreprises ; il est donc logique que les responsables informatiques travaillent en étroite collaboration avec leurs homologues. Certains vont même jusqu’à travailler « à deux dans une boîte » à l’exécution de projets, et les DSI sont conscients qu’ils doivent devenir de meilleurs conteurs, capables d’expliquer l’impact des technologies en langage professionnel, plutôt qu’en jargon et en acronymes à trois lettres.
Pour les entreprises qui parviennent à aligner leurs services financiers et informatiques, les récompenses potentielles sont importantes. En tirant parti de l’analyse des données en temps réel et des technologies informatiques de planification financière, les directeurs financiers peuvent améliorer leur capacité à évaluer les risques, anticiper les opportunités du marché et apaiser les conseils d’administration, les organismes de surveillance et les régulateurs. Les programmes de facturation interne peuvent aider les dirigeants à mieux comprendre l’importance des investissements informatiques et les coûts de leurs modèles d’utilisation.
Le service informatique est un département inhabituel, en ce sens qu’il peut être difficile à comprendre, coûteux, continuellement changeant – et, à bien des égards, n’avoir pas encore atteint sa pleine maturité. Cependant, la finance n’est pas non plus une discipline particulièrement compréhensible pour les non-spécialistes, et elle possède bien entendu son propre jargon, ainsi qu’un cadre réglementaire et juridique apparemment infini. Il est peu probable qu’un directeur des services d’information devienne un expert financier capable de traiter des déclarations comptables ou d’expliquer un rapport de clôture trimestrielle à un analyste ; de même, un directeur financier sera rarement en mesure d’assurer le déploiement d’un datacenter ou l’orchestration d’une politique de Cloud. Toutefois, ces deux domaines se recoupent souvent au regard de problématiques telles que la conformité et le risque, par exemple. C’est pourquoi il est essentiel que les directeurs des systèmes d’information et les directeurs financiers coopèrent pour comprendre les opportunités et les obstacles respectifs, ainsi que la manière dont ils définissent les termes qu’ils emploient. Qu’il s’agisse de déjeuner ensemble régulièrement ou de se réunir autour d’un café hebdomadaire, l’opportunité leur est donnée de promouvoir une compréhension mutuelle à un moment où l’avenir de tant d’entreprises repose sur la technologie numérique.