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Candice Boclé, Directrice Investissement Responsable chez Mandarine Gestion.

L’Intelligence Artificielle (IA) « Responsable » a été le sujet ESG à la croissance la plus rapide en 2024. Au vu des derniers développements, notamment aux Etats-Unis (dérégulation pour maintenir l’avance américaine) et en Chine (essor de Deepseek), l’élan devrait se poursuive cette année. Au-delà des débats passionnés qu’elle déclenche, l’IA est objectivement « générative » d’interrogations sur ses impacts environnementaux et sociaux. Face aux risques d’une utilisation non régulée de l’IA, la clé semble être du côté de la mise en place d’une gouvernance commune, et surtout « future-proof ».

Sur le plan social, l’avènement de l’intelligence artificielle est en passe de transformer le monde du travail

Les progrès sont visibles chaque jour au sein de nombreux secteurs. En termes de productivité, l’automatisation de tâches répétitives remplace progressivement les humains. Klarna Bank, une fintech suédoise, affirme avoir économisé 10 millions de dollars annuels grâce à son « chatbot » de service client, qui a remplacé 700 agents humains, tout en réduisant le temps de traitement des demandes de onze à deux minutes. Pour les cabinets de consulting, la prise en charge par l’IA des comptes-rendus (CR) de réunions, e-mails, analyses de données, synthèses de documents, entraîne des gains de productivité d’environ 20%, soit une journée par semaine. En se déchargeant de tâches ennuyeuses, certains profils, notamment juniors, peuvent se concentrer sur les aspects plus stratégiques et voir leur potentiel exploité à sa juste valeur.

Dans le secteur de la santé, l’IA permet d’effectuer des analyses complexes pour améliorer les diagnostics médicaux et découvrir de nouveaux traitements, comme le démontrent les progrès accomplis par des sociétés comme EVEscape (évolution des virus), ou DermaSensor (détection des cancers de la peau). Dans le secteur de l’éducation, des sociétés comme Pearson ou BBC déploient des modules basés sur l’IA pour personnaliser le soutien scolaire et le rendre accessible à tous. Dans l’industrie des transports, la conduite autonome a le potentiel de réduire, voire d’éliminer, les embouteillages, éviter les problèmes de stationnement et même réduire la pollution. Au vu des investissements réalisés par les entreprises et les institutions dans l’IA, il est indéniable qu’elle contribue à améliorer la vie des individus tout en engendrant de nouvelles opportunités commerciales. ​ ​

Dans le même temps, l’intelligence artificielle crée un climat d’incertitudes sur l’obsolescence plus ou moins programmée de certains postes, comme en témoigne le nombre de recherches Google « Mon emploi est-il en péril ? ». Par ailleurs, des inquiétudes émergent en termes de discriminations, facilitées par les algorithmes et ensembles de données alimentées par l’IA, risquant de renforcer certains biais à l’embauche. A cet égard, Amazon a dû se débarrasser de son outil avancé de recrutement basé sur l’IA, des experts ayant estimé qu’il favorisait les candidats masculins.

Alors qu’elle contribue à la pollution par sa consommation énergétique, l’IA offre également des solutions innovantes pour relever les défis environnementaux actuels

L’utilisation de ChatGPT est très énergivore, c’est indéniable. D’après l’AIE (Agence Internationale pour l’Environnement), les interactions avec cet outil pourraient consommer dix fois plus d’électricité qu’une recherche Google classique. En effet, des millions d’exemples de textes ou d’images doivent être analysés pour pouvoir en générer de nouveaux sur demande. Les principaux acteurs de l’IA ont été réticents à publier des données, et pour cause. À mesure que les géants de la technologie comme Microsoft intègrent davantage d’IA dans leurs moteurs de recherche, services de messagerie et autres applications, leurs ambitions en matière de réduction des émissions « scope 2 » (électricité achetée par l’entreprise pour alimenter ses data centers) et « scope 3 » (émissions de tous les acteurs participant à la chaîne de production dont la fabrication des puces et smartphones) s’amenuisent. En effet, avec la montée en puissance des modèles de type GPT-4, Perplexity ou encore Google Gemini, la tendance est à la hausse ; et ces LLMs (Large Language Models) nécessitent une infrastructure lourde pour fonctionner 24h/24, 7j/7.

La consommation énergétique pose des questions fondamentales sur la durabilité de ces technologies dans un monde confronté à la crise du réchauffement climatique. Au fur et à mesure que l’IA progresse, il faudra plus d’énergie pour les différentes itérations et plus de centres de données devront être utilisés et refroidis… Cela pourrait constituer un goulot d’étranglement pour le développement futur de l’IA.

Le PDG de Meta Mark Zuckerberg a exprimé cette inquiétude lors d’un récent podcast1 et a noté que « personne n’a encore construit un centre de données de 1GW ». ​ Le bulletin numérique est « nuageux », avec risque d’émissions cachées. ​ Les datacenters consomment désormais environ 2 % de l’électricité mondiale – soit à peu près autant que des pays comme la France ou l’Allemagne – avec une consommation qui a doublé entre 2015 et 2022 et qui devrait encore doubler d’ici 20262. Microsoft, qui a passé un partenariat avec OpenAI (le créateur de ChatGPT), avait comme objectif d’être négative en carbone d’ici à 2030, mais, selon son président Brad Smith, cet objectif a été dévoilé en 2020, « avant l’explosion de l’intelligence artificielle »3… De la même manière, Amazon et Meta n’ont pas publié de données sur le sujet depuis 2022.

Par ailleurs, pour le refroidissement des centres de données, la demande mondiale pour l’IA pourrait entraîner un prélèvement de 4,2 à 6,6 milliards de mètres cubes d’eau d’ici à 2027, soit l’équivalent de la consommation annuelle de quatre à six fois celle du Danemark ou de la moitié du Royaume-Uni4. Pour se défendre, les géants de la tech assurent que l’IA pourra permettre d’optimiser la consommation d’énergie ou de trouver de nouvelles solutions au réchauffement climatique à terme. Plusieurs modèles sont à cet égard en mesure d’accélérer l’innovation en matière d’anticipation des évènements climatiques extrêmes, notamment GraphCast (Google Deepmind).

L’éthique et la gouvernance mondiale au secours de l’IA

La gouvernance mondiale de l’IA repose sur la capacité des acteurs étatiques et non étatiques à définir des normes communes sur les risques technologiques, les limites à établir, ainsi que les principes à garantir. Au-delà des risques sociaux et environnementaux souvent évoqués, le risque majeur est, selon les spécialistes, la sécurité des nations dans le cas de cyber-attaques. L’essor de l’IA avancée et de l’AGI [intelligence générale artificielle] pourrait déstabiliser la sécurité mondiale d’une manière qui rappelle l’introduction des armes nucléaires. Sans exagérer, l’IA pourrait être utilisée par de mauvais acteurs et engendrer l’escalade de certaines guerres, la manipulation des élections, la distorsion des marchés financiers et la production d’armes biologiques.

À court terme, la diffusion de deepfakes et de fausses informations explose. En pleine campagne présidentielle américaine (2024), l’intelligence artificielle a beaucoup fait parler d’elle. Les habitants du New Hampshire ont par exemple pu avoir la joie d’avoir Joe Biden au téléphone, dans la tradition des messages téléphoniques pré- enregistrés. Un faux message du Président démocrate qui incitait les habitants à ne pas aller voter.

Dans ce contexte, les cadres réglementaires jouent un rôle essentiel. Alors que les avancées technologiques se déploient à une vitesse fulgurante, la régulation peine parfois à suivre le rythme. C’est particulièrement vrai pour l’intelligence artificielle, où les législations doivent s’adapter en permanence pour encadrer l’utilisation des nouvelles technologies. La tâche des régulateurs est complexe : ils doivent protéger les intérêts des citoyens tout en évitant de freiner l’innovation. La transparence des algorithmes et l’équité d’accès aux technologies figurent parmi les principales préoccupations. En Europe, la loi sur l’IA représente l’approche la plus complète en matière de réglementation, avec des exigences entrant en vigueur en février 2025. À l’inverse, aux États-Unis, le président a annulé le décret de Joe Biden qui posait les bases d’une régulation de l’IA générative.

En conclusion, l’intelligence artificielle transforme de nombreux secteurs économiques, de la santé à la finance en passant par le marketing, la logistique et l’écologie. Avec ses algorithmes puissants et ses applications révolutionnaires, elle est devenue incontournable pour de nombreux individus et organisations. Il est trop tôt pour prédire avec précision comment l’IA générative modifiera les modes de vie et si ses contributions seront globalement positives ou négatives pour les sociétés et l’environnement. Cependant, il est clair qu’il est nécessaire de la canaliser au service de l’humanité et de la planète. Le défi de l’avenir demeure de concilier intelligemment le développement technologique avec la préservation de l’environnement. L’investissement durable a un rôle à jouer en soutenant les modèles les plus bénéfiques et en évitant les modèles risqués. L’IA « responsable » deviendra plus importante sur le plan financier cette année, à mesure que les réglementations en matière d’IA commenceront à entrer en vigueur.

1 ​ Energy, not compute, will be the #1 bottleneck to AI progress – Mark Zuckerberg

2 ​ AIE, Electricity 2024 – Analysis and forecast to 2026, 2024.

3 Bloomberg, Microsoft Wanted to be Carbon Negative. Then It Went Big on AI, 23/05/2024

4 ISE, L’intelligence artificielle : une pollution cachée au cœur de l’innovation, 26/11/2024

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