Sara Portell, VP, User Expérience, Unit4
Cette question est clairement provocatrice, mais la plupart des entreprises, des régulateurs et des sociétés sont actuellement aux prises avec ce problème, lequel devrait être une priorité absolue pour tous les PDG. Nous assistons à l’entrée en vigueur de plus en plus de réglementations, telles que la loi européenne sur l’IA, dans la mesure où il y a un consensus sur le fait que le cadre juridique pour le développement et l’utilisation de l’IA a pris du retard par rapport à la vitesse et au niveau de perturbation déclenchés par la technologie. Dans l’intérêt de tous, nous devons veiller à ce que l’IA fonctionne de manière éthique et impartiale. Nous nous trouvons à un tournant, à savoir une occasion unique d’établir une approche véritablement inclusive des meilleures pratiques au moment où il s’agit d’établir des frameworks de meilleures pratiques qui étayeront la manière dont l’IA fonctionne. Nous sommes en mesure d’emprunter une voie positive ou (si nous ne prenons pas de mesures efficaces) nous pourrions aboutir à des résultats moins progressifs. Je reste cependant très optimiste : si nous agissons dès à présent et mettons en place les normes, les politiques et les cultures organisationnelles adéquates, alors nous pourrons veiller à ce que l’IA soit une technologie véritablement inclusive qui profite à chacun.
La difficulté vient du fait que, si McKinsey indique que 65 % des personnes interrogées dans le cadre de son enquête utilisent désormais régulièrement l’IA (ce qui a doublé en 10 mois seulement), la moitié de la population mondiale éprouve de réelles inquiétudes. Selon une étude menée par Harris Poll et Female Quotient, 63 % des femmes ne sont pas convaincues que « l’IA puisse être pleinement éthique dans les trois prochaines années ».
Cela devrait inquiéter toutes les entreprises, car si l’on veut que l’IA soit considérée comme éthique, alors elle doit bénéficier de la confiance de tous les membres de la société. Hélas, la réalité suggère le contraire dans un certain nombre de cas. Par exemple, l’UNESCO a montré que les grands modèles linguistiques sont vulnérables aux préjugés récurrents. Lors de l’examen des mots associés aux genres masculin et féminin, l’étude a montré une forte tendance à associer les noms féminins aux rôles liés au « foyer », à la « famille », aux « enfants » et au « mariage ».
De toute évidence, la réglementation est susceptible d’encourager de meilleures pratiques quant au développement et à l’utilisation des outils d’IA, mais une représentation plus équitable des femmes dans l’IA, en particulier dans les fonctions de direction, devrait également être un élément fondamental de toute stratégie dans ce domaine. À défaut, nous risquons de nous engager sur une voie plus conflictuelle où l’IA exacerbera les inégalités sociales et économiques.
Une étude menée par IBM en début d’année a mis le doigt sur le fait que les chefs d’entreprise sont sensibles à la question et souhaitent augmenter le nombre de femmes dirigeantes dans le domaine de l’IA afin de lutter contre les préjugés sexistes, mais il reste manifestement un long chemin à parcourir, puisque seulement 33 % des entreprises de la région EMEA sont à la tête d’une stratégie d’IA et prennent des décisions en ce sens.
Comment y parvenir ?
Je ne prétends pas que le problème peut être résolu et que les femmes seront convaincues dans trois ans que l’IA est éthique, car cela nécessite un effort coordonné de la part de toutes les parties prenantes : entreprises technologiques, établissements d’enseignement et décideurs politiques. Nous savons que nous devons encourager davantage de jeunes filles à s’orienter vers les sciences et technologies de l’information et de la communication, car le nombre de femmes ingénieurs dans le domaine de l’IA est encore trop faible. Selon la Commission européenne, ce chiffre a doublé, passant de 0,09 % en 2016 à 0,20 % en 2024. Cette situation requiert un effort d’équipe de la part de chacun et pourrait être longue à résoudre.
Néanmoins, d’après mon expérience et mes observations dans l’industrie technologique, il existe des mesures pratiques que les entreprises peuvent adopter pour résoudre trois de ces problèmes fondamentaux.
Politique et réglementation relatives à l’IA
Chaque fois qu’une perturbation majeure survient, l’on conseille sagement de « se réglementer soi-même, avant d’être réglementé ».
Il existe des arguments pour et contre l’autorégulation, et je ne préconise pas que les entreprises soient autorisées à édicter elles-mêmes les règles, mais pour s’assurer que l’IA est adoptée de manière équitable et éthique, les entreprises doivent impérativement prendre le temps de comprendre quelles sont leurs politiques vis-à-vis de la technologie. Elles doivent établir de manière proactive des cadres éthiques complets qui régissent le développement et le déploiement de l’IA. Cela ne signifie pas seulement la mise en place de politiques, mais aussi l’implication d’un large éventail de voix dans leur création et leur supervision.
Chez Unit4, nous disposons d’un comité de pilotage de l’IA dirigé par notre directrice juridique. Ce comité, qui regroupe plusieurs femmes de l’entreprise, dont je fais moi-même partie, joue un rôle essentiel dans la conduite de notre stratégie d’IA. Il est essentiel de disposer d’une représentation diversifiée pour veiller à ce que la diversité soit reflétée dans la prise de décision, condition sine qua non pour instaurer la confiance dans l’éthique de votre approche de l’IA.
De surcroît, la transparence et la responsabilité dans la gouvernance de l’IA sont des éléments fondamentaux pour instaurer la confiance et démontrer un véritable engagement en faveur de pratiques éthiques. Les entreprises ont tout intérêt à rendre publiques leurs politiques en matière d’IA, y compris la composition de leurs comités d’éthique, et à rendre compte à intervalles réguliers des efforts qu’elles déploient pour remédier aux disparités hommes-femmes. Grâce à cette transparence, les entreprises sont tenues responsables de leurs engagements, ce qui assure l’amélioration continue de leurs stratégies dans le domaine de l’IA.
Opportunité pour les femmes
L’industrie technologique est composée de nombreuses femmes hautement qualifiées, mais elles n’ont pas toujours la possibilité d’accéder à des postes de direction. Chez Unit4, nous abordons cette problématique par le biais d’une série d’initiatives politiques ciblées. L’une de nos stratégies clés est un programme de parrainage, en vertu duquel chaque cadre supérieur de l’entreprise est chargé d’encadrer et de parrainer une femme aspirant à un poste de direction, qui a été identifiée comme ayant un fort potentiel de croissance de carrière. Ce programme permet aux employées de se voir proposer des rôles et des tâches qui leur donneront l’expérience nécessaire pour devenir de futures dirigeantes.
En outre, nous gérons un groupe de ressources pour les femmes (ERG), lequel sert de plate-forme aux employés de toute l’entreprise pour collaborer sur les politiques et les initiatives qui favorisent les opportunités pour les femmes au sein de Unit4.
En vue de promouvoir davantage les femmes à des postes de direction, les entreprises se doivent d’envisager la mise en place de parcours de promotion clairs. Les critères de progression de carrière doivent être bien définis, afin que tous les employés comprennent les étapes nécessaires pour progresser dans leur carrière. Cette transparence est fondamentale pour éliminer les obstacles susceptibles d’affecter les femmes de manière disproportionnée et contribuer à créer des conditions de concurrence plus équitables.
De plus, nous avons mis en place des politiques de travail flexibles qui favorisent l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Ces politiques prévoient notamment le travail à distance, des horaires flexibles et des congés parentaux généreux, afin de permettre aux femmes d’occuper des postes de direction sans avoir à faire de compromis sur leurs engagements personnels.
Apprentissage continu
En définitive, il appartient à chaque employé de faire preuve de motivation pour ajouter de nouvelles compétences à son bagage, mais il est néanmoins essentiel que les entreprises fournissent le soutien et les ressources requises. Cela peut se traduire par une flexibilité du travail et des congés, comme le fait Unit4, mais les cadres supérieurs ont tout intérêt à encourager activement les employés et à être des modèles d’apprentissage tout au long de la vie, en favorisant un environnement dans lequel l’acquisition de nouvelles compétences est célébrée.
Afin de favoriser l’apprentissage continu, les entreprises sont encouragées à mettre en œuvre des programmes d’apprentissage structurés accessibles à tous les employés. Ces programmes peuvent inclure l’accès à des cours en ligne, des ateliers et des partenariats avec des établissements d’enseignement, ouvrant ainsi la voie au développement des compétences pour préparer la main-d’œuvre à l’avenir. Parmi ces initiatives, citons le programme de formation à l’IA axé sur les personnes que nous avons récemment lancé et qui se concentre sur les fondements de l’UX et de l’IA. Ce programme vise à doter nos équipes de R&D des compétences nécessaires pour identifier et définir des cas d’utilisation de l’IA à forte valeur ajoutée qui répondent directement aux défis réels des clients. La formation mêle des supports d’apprentissage en autonomie et des ateliers interactifs animés par des experts de terrain, ce qui permet aux participants d’acquérir des connaissances théoriques et une expérience pratique dans le cadre de projets bien concrets.
Le fait est, en particulier à l’ère de l’IA, que notre mode de travail, et même notre rôle, va évoluer dans les années à venir. La soif de savoir est un facteur déterminant pour s’adapter et acquérir de nouvelles compétences qui nous permettront de créer de nouvelles opportunités. Ce point vaut également en termes d’évolution de carrière. Les responsables ont tout intérêt à collaborer avec leurs équipes pour identifier les lacunes en matière de compétences et les possibilités de croissance, afin que les plans d’apprentissage soient en phase avec les objectifs de carrière et les besoins stratégiques de l’entreprise. Qui plus est, il est impératif de cultiver un état d’esprit de croissance au sein de l’entreprise pour assurer la réussite à l’ère de l’IA, qui permet de relever des défis, de prendre des risques et de considérer les échecs comme des opportunités d’apprentissage.
Mon propre parcours témoigne de l’importance de l’apprentissage continu. Bien que ma formation en sciences du comportement et en gestion d’entreprise puisse ne pas être considérée comme un point d’entrée standard dans l’IA, ma poursuite d’un doctorat en psychologie, axé sur la convergence entre l’IA et le bien-être des employés, m’a ouvert de nouvelles portes et m’a permis d’acquérir des connaissances incomparables. Mon désir d’acquérir de nouvelles compétences m’a été bénéfique, et l’industrie technologique aurait sans doute intérêt à s’en inspirer. Non seulement elle devrait encourager l’apprentissage continu, mais elle devrait aussi élargir son acceptation des types de qualifications nécessaires pour s’épanouir dans ce domaine. Si nous souhaitons attirer et fidéliser une main-d’œuvre diversifiée, il nous faut être ouverts à des parcours éducatifs variés et à des cheminements de carrière non linéaires.
Voici donc quelques mesures pratiques que toute entreprise pourrait envisager afin de favoriser l’équité entre les sexes et les pratiques éthiques. Il importe toutefois de reconnaître que chaque entreprise est unique et peut nécessiter des approches personnalisées. Ce qui importe avant tout, c’est de commencer à agir dès à présent. Les décisions que nous prenons actuellement façonneront l’avenir de l’IA. Elles feront en sorte qu’elle soit un puissant outil d’innovation et une force d’inclusion et de changement sociétal positif. Si nous agissons de manière intentionnelle et urgente, nous pourrons bâtir un avenir où l’IA bénéficiera réellement à chacun.
À propos de Sara Portell, VP, User Experience, Unit4
Sara est une leader en UX et en Recherche avec une vaste expérience internationale dans les entreprises technologiques mondiales depuis 2009. Elle est passionnée par la compréhension des comportements et des attitudes des gens pour offrir de meilleurs produits et solutions. Sara est la VP de l’Expérience Utilisateur chez Unit4, où elle a relancé la fonction UX et a construit et développé une équipe pluridisciplinaire de designers UX/UI, de chercheurs utilisateurs, de concepteurs de contenu et de développeurs UI. Ses rôles précédents incluent Shopify et Expedia, où elle s’est concentrée sur la direction de la recherche UX à l’échelle mondiale.