Thomas Planell, Gérant- Analyste DNCA Investments.
« Pour la première fois, l’humanité pourrait découvrir quelque chose de plus intelligent qu’elle », s’enthousiasme Masayoshi Son.
Non, l’actionnaire majoritaire de SoftBank ne fait pas référence à l’intrigante découverte du télescope James Webb qui, à 120 années-lumière de la terre, pourrait avoir identifié les signes d’une chimie organique propice à des formes de vie carbonée.
Plus terre à terre, le 65ème homme le plus riche du monde regarde du côté des mondes minéraux de silicone. Ceux-là abriteraient déjà une intelligence artificielle supérieure à la nôtre, promesse de gains de productivité exceptionnels, de réponses aux problèmes insolubles et d’une croissance à l’infini des ventes pour les sociétés exposées à la thématique.
Après des années de déconvenues financières pour son fonds de venture capital, l’un des plus imposants au monde, l’homme aux 500 participations a de quoi sourire. L’introduction en bourse d’ARM, détenue par Softbank et décidée après l’échec du rapprochement avec Nvidia, est un succès (+25% pour son premier jour de cotation). Les marchés achètent l’optimisme progressiste du fondateur du fonds Global Vision : difficile de trouver meilleure performance que celle du Nasdaq.
Il est encore trop tôt pour dire si les estimations de débouchés commerciaux s’avéreront trop optimistes ou au contraire, se montreront supérieures à toutes les attentes…
En attendant, la concentration du marché semble démontrer une chose : l’engouement pour la thématique de l’intelligence artificielle teste notre intelligence collective…. Derrière le rallye du Nasdaq se trouvent 10 valeurs qui expliquent 80% de la performance. 10 valeurs qui pèsent pour plus du tiers de la capitalisation boursière de l’indice S&P500 (contre 26% avant la crise de 2008) : c’est un record depuis la bulle des années 2000. 10 valeurs qui capitalisent en moyenne 50 fois les résultats à venir!
Il est également encore trop tôt pour juger des effets que l’adoption à grande échelle de l’intelligence artificielle produira sur la société. Mais une chose est certaine, à court terme, l’IA risque d’aggraver le sempiternel conflit entre capital et travail.
Les grèves du secteur automobile américain (qui pourraient, coûter quelques points de base à l’économie américaine dans les mois à venir) et le bras de fer entre Elon Musk et le patron du syndicat United Auto Workers (Shawn Fain) offrent à ce titre une intéressante mise en lumière des tensions socio-économiques qui nous attendent.
Pour le second, qui pointe du doigt la rémunération annuelle des dirigeants du secteur (22M$ chez Ford, 25M$ chez Stellantis, 29M$ chez General Motors), nous entrons dans une époque où « la tendance séculaire de croissance des inégalités est terminée ».
Cette époque, fortement inflationniste, où les marges bénéficiaires évoluent à des niveaux records, où le chômage campe sur ses points bas depuis la deuxième moitié du siècle dernier, justifierait une hausse de 40% de la rémunération des salariés syndiqués, soit un coût du travail de 136$ contre 66$ actuellement en moyenne dans l’industrie automobile américaine, 55$ pour les travailleurs asiatiques et … 45$ chez Tesla!
Ce à quoi Elon Musk aime répondre par le nombre de salariés devenus millionnaires grâce à leur stock-options dans Tesla…
Difficile pour le travailleur, déjà éprouvé par la digitalisation de l’économie, d’adhérer absolument au progressisme de Masayoti Son, selon lequel, « l’IA nous aidera à résoudre de nombreux problèmes que nous ne pouvions résoudre autrefois »…
Pour l’instant, et pour de nombreuses années encore, il faut le reconnaître : la destinée de long terme de nos institutions, qu’elles soient publiques ou privées, est très souvent forgée par les décisions qui sont prises dans les moments de crise sévère, par les femmes et hommes qui les dirigent…